L’euthanasie: pourquoi chercher à la cacher?

Anaïs Vallée discute des implications liées à la nouvelle loi sur l’aide médicale à mourir au Québec.

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Le 10 décembre de cette année devrait entrer en vigueur au Québec, si les tribunaux font aboutir l’appel lancé par le gouvernement Couillard, la loi 52 relative aux soins de fin de vie, aussi connue sous l’appellation «Mourir dans la dignité».

Le Collège des Médecins du Québec a d’ores et déjà appelé les praticiens à falsifier les certificats de décès pour qu’ils identifient comme cause de décès non pas l’aide médicale à mourir mais la maladie ayant justifié sa demande et dont la personne serait sans doute morte si l’on avait laissé faire les choses (voir au chapitre 7.2 du Guide d’exercice sur l’Aide médicale à mourir). Autrement dit, on troque l’euthanasie pour la «mort naturelle» … bonne nouvelle!

La mort naturelle, cela évoque l’écoulement du temps, lisse et sans précipitation, l’ordre naturel de la vie, toutes ces choses qui nous incluent dans ce cycle de l’éternel contenu dans la maxime «tu es né poussière, et tu redeviendras poussière». Alors que «mort par injection létale», c’est tout de suite un peu plus brutal pour l’imaginaire, évoquant douloureusement certaines exactions que l’on pratique encore aujourd’hui dans les couloirs de certaines prisons américaines. Et qui ne souhaiterait pas épargner à ceux qu’il aime cette vision violente?

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Photo by Adrienne Lawlor.

C’est en tout cas la raison principale invoquée par le Collège des Médecins pour justifier cette falsification. On entend néanmoins les premières craintes s’élever: il pourrait y avoir des dérives! Les médecins pourraient aller jusqu’à tuer impunément, poussés par quelque obscure logique de rendement, sans que quiconque puisse s’en apercevoir! Enfin, n’est-ce pas que de remettre entre les mains du médecin le choix de la vie ou de la mort du patient sans avoir à rendre de compte à quiconque, pas même au mort?

Sous cette apparente volonté d’épargner aux familles des mourants une vérité trop brutale, c’est tout le rapport ambigu des praticiens représentés par le Collège des Médecins à l’euthanasie qui est soulevé. On aimerait que les patients puissent mourir proprement et dignement, selon leur volonté, en même temps que l’on écarte, par des revers euphémistiques et autres tournures atténuées, le terme de «suicide assisté» auquel on va préférer «aide médicale à mourir», allant jusqu’à reléguer l’euthanasie dans la catégorie des «soins de fin de vie».

En effet, si l’on en croit le texte de loi, le but visé n’est pas de tuer le malade, mais de supprimer ses souffrances. La mort apparaît alors seulement accidentelle et comme une conséquence de cette volonté de suppression de la souffrance plutôt que sa cause. L’euthanasie se trouve alors légitimée du point de vue de l’éthique médicale en tant que procédure de soin. Si elle est exécutée par un médecin dans le cadre de la loi, l’injection létale n’est pas considérée comme un homicide (puisque la cause réelle du décès n’est pas l’injection mais la maladie) mais comme un véritable soin de fin de vie; le serment d’Hippocrate est sauf.

Cependant, en voulant substituer comme cause de décès à l’euthanasie la mort naturelle, on effectue une double négation: celle de l’acte réel pratiqué par le médecin, et celle de la volonté du patient qui désire mourir, non pas des suites naturelles de sa maladie mais bien de l’acte posé médicalement. Quitte à entrer dans la logique du «ce dont la personne serait morte inéluctablement si l’on avait laissé faire la nature», on pourrait très bien prendre l’argument en sens inverse et s’imaginer dire à la famille du malade que nous l’avons euthanasié puisque de toute façon il aurait fini par mourir de sa maladie.

En somme, si l’on veut vraiment de l’euthanasie dans notre projet de société, il va falloir apprendre à l’accepter dans tous les aspects de sa complexité, c’est-à-dire à l’assumer pleinement sans chercher à maquiller une réalité pour aseptiser ses apparences de façon superficielle. Si être euthanasié c’est mourir dignement, alors pourquoi chercher à le cacher?

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Anaïs Vallée, étudiante en maîtrise de bioéthique à l’Université de Montréal, Québec

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